Justin Couet

Pour les joueurs d’échecs, l’année 2025 ne démarre pas le premier janvier. C’est la rencontre de N4 contre Blaye-Les-Mines qui ouvre le bal. La salle de bal est glaciale, mais le café noir, la brioche et la sympathie légendaire de nos adversaires réchauffent rapidement l’atmosphère. Pas de stress pour les Albigeois : ils se savent peu menacés par la benjamine de la poule. Avec en moyenne 200 points Elo en moins sur chaque échiquier, la résistance blayoise, bien qu’acharnée, ne fait pas long feu. Les six dernières tables remportent facilement leur match. Même Gérard, qui semblait en mauvaise posture démontre avec brio que la supériorité et la résilience acquises avec l’expérience sont des armes redoutables face à la fougue de la jeunesse.

Fire on the boards.

6-0 ! Plus de soucis à se faire, les scores de Brayan et de Justin ne feront pas bouger d’un iota le résultat final. Albi a écrasé Blaye. Les revers subis l’année dernière sont effacés des mémoires et les Albigeois reprennent confiance en eux. Cette victoire asseoit la position de leader de notre équipe. Elle est encourageante pour la suite, mais tous savent que le pire est à venir. L’ombre de la redoutable équipe gaillacoise planera sur la compétition jusqu’à la toute dernière minute.

Pour l’instant, le derby paraît loin et la partie de Justin captive ceux qui n’ont pas encore déserté la salle froide. Nicolas Arlabosse est le seul joueur de toute la poule à avoir un classement supérieur à 2000. Il est connu de tous pour son style agressif et son amour du jeu. Justin quant à lui n’a jamais franchi la barre fatidique atteinte par Nicolas et sa progression, auparavant spectaculaire, s’est considérablement ralentie. Les deux styles de jeu, l’un extrêmement tactique et l’autre cherchant les pointes stratégiques, vont s’observer patiemment pendant les dix premiers coups. L’ouverture, une défense moderne, semble apporter un léger avantage aux pièces blanches malgré les connaissances théoriques apparemment plus pointues des Noirs. Un piège tactique permet aux Noirs de roquer, chose très rare dans ces parties explosives. A partir de ce moment les deux joueurs peinent à comprendre pleinement la position, les possibilités tactiques sont trop nombreuses pour être explorées en profondeur. Le hasard entre dans la danse. Après un sacrifice de qualité, les blancs semblent perdus, mais réussissent à forcer l’échange des dames. Justin commet une faute grave en finale. A la surprise générale, Nicolas refuse l’échange. Son roi se retrouve donc au centre de l’échiquier. Face au zeitnot, Justin craque et loupe le coup gagnant.

Les deux têtes de série, pensives.

A ses côtés, Brayan s’accroche. Il a dominé Alex Courceulles avec les pièces blanches, mais doit faire face à une finale insipide, où les fous de couleurs opposées se dévisagent sans jamais s’affronter. Au bout de plus de cinq heures de jeu, il accepte l’évidence qui s’impose à lui et serre jovialement la main de son adversaire. Il a résisté à ses assauts, il mérite le repos du brave. Il est tard et la nuit est tombée depuis longtemps. Les phares des dernières voitures s’éloignent dans la nuit. Les Albigeois ne fêteront pas la victoire ce soir, mais rentrent avec le doux sentiment du devoir accompli.

Pas facile-facile de composer une équipe deux semaines après la dernière rencontre, surtout quand le capitaine a oublié la date. Heureusement Félix veille. Denis, Christophe et Charles volent au secours du groupe amoindri et c’est une équipe recomposée mais déterminée qui se rend à Rodez pour affronter la petite équipe de Saint-Céré. Certains, dont on ne citera pas les noms, auraient aimé aller jusqu’à Saint-Céré pour profiter du traditionnel resto généreusement offert par le club : pas de chance ! Revenez l’année prochaine.

Là aussi, pas d’inquiétude, l’équipe adverse est à moitié composée d’enfants de moins de dix ans. Ils ont l’âge, mais pas encore la carrure des prodiges indiens, et Gérard, Christophe et Denis n’en font qu’une bouchée, ogres qu’ils sont ! Philippe fait rapidement subir le même sort à la maman.

Chez les “grands”, Félix vit une partie complètement folle. Fxh7 ! Le téméraire Etienne Bauceron n’hésite pas à sacrifier son évêque sur le roque de son adversaire. De là, le roi noir part en vacances. Il traverse l’échiquier et va se cacher derrière le peu de soldats qu’il lui restent. Certes, Félix n’est pas mat. Certes, Félix a une pièce de plus. Mais Félix a surtout quatre pions de moins. La marée vivante contrôlée par son adversaire l’oblige à coucher le roi après un combat âprement disputé.

Félix immortalisé dans la surprise par l’œil attentif de Pierre-Louis, notre photographe officiel.

Pierre-Louis s’impose avec classe comme à son habitude. Le match est déjà gagné, il ne reste plus qu’à creuser l’écart. Charles, sûrement un peu rouillé se fait bêtement enfermer son fou, mais n’abandonne pas et se bat jusqu’à son dernier souffle. Son sens aiguisé de l’initiative lui offre un coup gagnant, qu’il rate par manque de temps. Même si la déception est palpable, il sait qu’il a permis à l’équipe d’être complète et qu’il a décalé les échiquiers, un avantage non négligeable. Justin gagne facilement sa partie sur une bévue adverse. Grâce à ces victoires expéditives, l’équipe regagne ses pénates à une heure convenable. L’ambiance est à la fête dans les voitures, tous se voient déjà rejoindre la division supérieure.

Charles en pleine action.

« Montauban ça sera du gâteau ». « Il faut déjà se préparer pour Gaillac dans deux semaines ». « Po popopopo Po ». Ces paroles résonnent dans les voitures qui se rendent à Montauban. Pierre-Louis et les jeunots qui l’accompagnent dans sa Citroën C2 manquent la sortie sur l’autoroute et visitent le Tarn. « Bessières », « Villemur-sur-Tarn » ou encore « Nohic », nos aventuriers découvrent tous les petits patelins situés entre Saint-Sulpice et Montauban. Ils ont le temps de méditer leur victoire future, déjà acquise.

Lorsque la voiture arrive enfin, les Montalbanais accueillent les retardataires avec le sourire. Pas fâchés pour deux sous, ils offrent café et gâteaux, serrent les mains et s’assoient. La feuille de match semble répéter la même rengaine que les joueurs. Sur le papier, l’équipe de Montauban n’a rien d’époustouflant, elle paraît même spectaculairement faible.

Le match commence. La partie de Justin se décide vite. L’adversaire est rapidement déroqué et malgré quelques rebondissements tactiques incontrôlés, elle est gagnée en deux heures.

L’euphorie des premières minutes est vite retombée. Les Albigeois déchantent rapidement. Ludovic est contraint de signer la nulle dans une position dont seul lui a le secret, et où, rétrospectivement, il aurait dû perdre. Gérard et Félix doivent s’incliner sans avoir jamais réussi à prendre l’avantage sur leur adversaire. Philippe souffre de la résistance de sa jeune opposante et doit également accepter le partage du point.

Heureusement, Jean-Michel abat son poing sur la table et massacre sans pitié son pauvre adversaire. Dans une partie classique, mais tout en maîtrise, il a su faire preuve de sang-froid à un moment où l’équipe avait besoin de lui et où la pression commençait à se faire pesante. Le capitaine aux aguets a veillé à ce qu’il ne propose pas nul et Jean-Michel a ainsi pu faire montre de son véritable niveau. Mathis n’est pas au top de sa forme. Il a trop fait la fête hier. Heureusement, solide sur ses appuis, il ne chancèle pas et sécurise un match nul salutaire.

Il ne reste plus que la partie de Pierre-Louis, qui, comme contre Rodez en début de saison, fera office de tirs au but. Et comme contre Rodez, Pierre-Louis est notre homme. Il manœuvre, il manœuvre, et il manœuvre encore. Il échange les bonnes pièces, au bon moment. En finale de roi, l’épée de Damoclès qui menaçait son adversaire depuis déjà une heure ou deux, finit par s’abattre. Pierre-Louis est définitivement l’homme de la saison.

Dernière étape, dernière épreuve. Les Albigeois sont sortis victorieux de nombreuses batailles, mais la guerre n’est pas encore gagnée. Rodez a vaincu Gaillac. Le match nul suffit donc à l’équipe un pour retrouver la division perdue l’année dernière. Pour ce qui est de l’équipe deux, elle doit absolument vaincre Blaye-Les-Mines pour se maintenir en N4.

L’équipe alignée est simplement monstrueuse. Gérard officie à la dernière table, ce n’est jamais arrivé. Les Gaillacois n’en mènent pas large. Malgré cela, personne n’est confiant. Le souvenir de la rencontre à Montauban est encore frais dans les mémoires.

Gérard ébahi par les bourdes de son adversaire.

Tous retiennent leur souffle. Les pendules sont enclenchées. Au bout de deux heures, rien n’est encore décidé. Comme le match nul est suffisant, et malgré les positions difficiles des trois premiers échiquiers, l’espoir est toujours permis, car les dernières tables semblent prendre le dessus. Gérard remporte sa partie après un long combat tout en finesse, mais François, en difficulté, perd au temps. Jean-Michel ne réussit pas à prendre l’avantage sur le jeune Milan Bordinat. Leur plate partie s’achève donc sur un match nul. Justin, qui n’a pas réussi à réellement égaliser avec les pièces noires est contraint de s’incliner après quelques vains soubresauts destinés à piéger son adversaire. Brayan s’incline également, dominé par Gerard Lefèvre. Pierre-Louis, qui ne peut pas sauver l’équipe à chaque fois, signe la nulle dans une position gagnante, alors qu’il avait magistralement appliqué la stratégie du rouleau compresseur. La pression du temps et le désordre de sa position l’amènent à prendre la mauvaise décision. Si la déception est grande, tout le monde comprend son geste et chacun raconte ses bourdes passées pour le réconforter.

3-1. La promotion est encore possible. Mathis et Ludovic doivent gagner. Mathis pose des pièges, place des collets. Monique ne peut tous les éviter et finit par offrir sa tour au cavalier albigeois. Dans cette finale où plus aucun pion ne demeurait sur l’échiquier, les écueils étaient nombreux et Mathis a su tous les éviter.

Mathis, qui devrait songer au mannequinat.

Ludovic s’accroche, refuse les propositions de nul, et tente de décrocher de son siège Maxime Salomez. Impossible, le Gaillacois, le “ faiseur de rois ” comme le surnomme judicieusement Samuel Villeneuve, tient bon. Gaillac remporte cette rencontre et l’équipe de Rodez, pourtant battue par nos Albigeois, est promue.

Ludovic cherche à exploiter le léger avantage de sa position.

Etonnamment, la déception n’est pas l’émotion qui prévaut. Tous se rendent compte que la marche était un peu trop haute, que N3 signifie nombreux déplacements, fatigue et surcharge d’un calendrier déjà bien garni. Les joueurs savent aussi que l’équipe sera amputée de Mathis et Justin l’année prochaine. Ils s’envolent du nid pour aller étudier, sûrement en classe prépa, lieu où le temps libre se fait trop rare pour qu’ils le consacrent à des déplacements de six heures.

L’équipe 2 s’est battue jusqu’à son dernier souffle, mais elle sera reléguée en R1 l’année prochaine. Ils ont signé un magnifique 4-4 contre Blaye-Les-Mines. Magnifique, mais insuffisant pour se maintenir. L’équipe, indubitablement la plus faible de la poule, à de quoi être fière, elle a donné du fil à retordre à de nombreux cadors. Elle a aussi vu émerger la relève de Mathis et Justin en la personne de Hugo Page, qui, du haut de ses 12 ans, a montré un jeu mature et capable d’abattre des joueurs bien mieux classés que lui, comme Alex Courceulles (1726 elos).

En définitive, c’est une belle saison qu’ont vécu les fiers combattants de l’Echiquier Club Albigeois. Riche en émotions, en combats et en rires elle s’achève pour laisser place à l’été et à ses opens, sur lesquels les plus motivés des aficionados se sont déjà rués.

Justin Couët

2 commentaires sur “Interclubs : une fin de saison sous pression.

  1. Un superbe récit de cette fin de saison tant haletant qu’amusant (surtout l’épisode dans la Citroën C2 😄). Un talent très certain pour le journalisme ! Bon vent à tous et à plus devant un échiquier…

  2. Merci Justin pour ce bel article digne d’un… Guilhem, futur journaliste !!!
    Merci aussi pour tout ce que tu as apporté au club notamment auprès des jeunes qui pointent déjà pour assurer la difficile relève.
    Bon vent à toi comme à Mathis.
    Vous êtes inscrits à jamais au tableau d’honneur du club.
    Amitiés
    Alain

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